DESTINATION
GROENLAND
SPORT
SKI ET PULKA
« Imaqa aqagu » en langue inuit signifie « Peut-être, demain ». Une expression bien gravée dans l’esprit des deux explorateurs français, revenus en mai de leur projet Sea-Ice Greenland. L’expédition, une étude itinérante sur le sujet du changement climatique sur la côte nord-ouest du Groenland, s’est immédiatement révélée une belle aventure à la limite de l’improvisation.
Dans un environnement tel que le Groenland, où les conditions géographiques et climatiques sont aussi extrêmes, il faut être capable de faire preuve de souplesse et d’agilité pour adapter son projet aux aléas météorologiques. Le jeu est rendu encore plus complexe en raison du changement climatique, qui affecte violemment ces régions extrêmes du monde. Mais sans improvisation, pourrait-on vraiment qualifier un tel périple d’aventure ?
Mais commençons par le début : après presque trois ans de développement et de préparation, avec le soutien décisif de la bourse MXP, Guilhem et Guillaume sont partis pour le Groenland le 4 mars.
« Le voyage aller et l’arrivée sur place était un moment unique, l’aboutissement d’années de travail. De voir enfin le projet se concrétiser malgré les nombreuses difficultés était une grande satisfaction. Nous pouvions enfin poser le pied au Groenland. » (Guilhem)
Après avoir atterri à Upernavik (1000 habitants), les conditions extrêmes du climat et celles de la logistique apparaissent immédiatement dans toute leur puissance : les deux pulkas, avec tout le matériel nécessaire à l’expédition, sont bloqués à Ilulissat, 400 km plus au sud. Guilhem et Guillaume s’adaptent aux circonstances, décident d’attendre quelques jours et en profitent pour faire des images et prendre des sons, établir un premier contact avec des personnes, faire des interviews et observer le quotidien des pêcheurs, ainsi que les scènes chasse au phoque, au morse et au narval. Mais après deux semaines d’attente et d’espoir, la frustration est excessive et les deux décident de partir pour aller récupérer les traîneaux et essayer un itinéraire différent de celui prévu initialement.
Arrivés à Ilulissat le 21 mars, Guilhem et Guillaume partent pour le nord avec l’objectif d’atteindre la peninsule de Nussuaq et, éventuellement, le fjord d’Uummannaq. Mais une fois encore, les deux aventuriers vont devoir composer en cours de route avec un problème de taille : l’absence de banquise leur impose un passage par voie terrestre, sur un terrain trop accidenté pour les traîneaux chargés de 90 à 100 kg. Ajouter à cela les gelures contractées après une exposition continue à des températures comprises entre -30 ° et -40 °. L’accumulation des difficultés aura finalement raison de cette tentative et les obligera à battre en retraite deux jours après le départ.
Les deux explorateurs ont pu atteindre leur objectif initial de créer du lien entre de jeunes élèves belges, français et groenlandais.
Si l’objectif sportif et exploratoire de réaliser une traversée de la banquise en ski et pulkas entre Upernavik et Kullorsuaq n’a pas pu être complètement réalisé, cela ne signifie pas pour autant que le projet a été un échec.
D’une part, au niveau pédagogique, les deux explorateurs ont pu atteindre leur objectif initial de créer du lien entre de jeunes élèves belges, français et groenlandais. En amont du voyage, un programme a été mis en place avec des classes primaires en France et Belgique afin de transmettre des livres, photos, dessins ou vidéos à leurs homologues groenlandais. Les conditions météo défavorables ont permis à Guilhem et Guillaume de passer du temps dans les écoles des communautés d’Oqaatsut, d’Aappilattoq, d’Inarsuit et de Kullorsuaq et de vivre des moments de transmission et de riches échanges.
Le troisième objectif était scientifique : plonger aussi profondément que possible dans la vie de la population, en interrogeant des chasseurs et des pêcheurs des différentes communautés inuites pour en savoir plus sur les pratiques de chasse et de pêche actuelles, ainsi que sur les écosystèmes marins arctiques et les changements environnementaux auxquels elles sont confrontées. Les informations recueillies enrichiront une étude sur les sciences humaines menée par le laboratoire Takuvik (Unité mixte internationale CNRS – Université Laval, Québec Canada) à la baie de Baffin.
Après les deux premières semaines d’attente à Upernavik, les deux aventuriers d’Ilulissat décident de procéder séparément : Guillaume part seul vers le nord, en traversée de la banquise à la limite du praticable :
“Mais comment sortir de ce piège ? Impossible de partir en bateau, il y a bien trop de glace, mais cette glace est incapable de porter un traîneau ou un skieur… Il reste l’hélicoptère, mais il n’y a pas de place libre avant 1 mois ! Je ne peux pas rester bloqué 1 mois ici… Je dois donc tenter un retour de l’autre côté. Les locaux me disent que j’ai une petite chance si je tente dans les 24h. Après ce sera trop tard.
Voilà donc 10 km horribles de traversée, à skier sur une glace qui se décompose. Si au départ la peur est intense, j’arrive malgré tout à me concentrer et j’essaye d’évoluer de la façon la plus sécurisée, avec la combinaison sèche, et détaché de mes pulkas pour qu’elles ne m’entraînent pas au fond si elles coulent. Je passe la jambe dans l’eau jusqu’aux genoux plusieurs fois, et récupère ma pulka dans un trou. Le risque est de se retrouver directement sur l’eau. Je teste au bâton chaque mètre.
Dans ces moments, l’univers se restreint aux quelques mètres qui m’entourent. Rien d’autre n’a de l’importance. Trouver où aller pour les 10 prochains mètres, c’est tout. Jusqu’au bout je trouve un chemin.” (Guillaume)
Après avoir « fait mes preuves » et montré que je pouvais me débrouiller seul dans le froid, ils ont accepté que je les accompagne.
Entre temps, Guilhem s’arrête quelques semaines dans le village d’Oqaatsut, où il découvre la vie typique d’une communauté du Groenland, marquée par l’arrivée et le départ des quelques traîneaux et bateaux de pêche qui animent le petit village. Il n’est pas facile de s’intégrer à la communauté, très peu de gens parlant anglais. Toutefois, l’instituteur local facilitera la présentation du projet et l’échange avec les étudiants d’Oqaatsut et les chasseurs. Les moments de partage avec les habitants seront les moments les plus forts et les plus intenses de l’expédition :
« Être avec deux chasseurs, loin sur la banquise au nord du dernier village, dans un décor magique d’icebergs gigantesques, avec au loin les glaciers qui descendent de la calotte glaciaire, et l’immensité inhabitée de la baie de Melville. Après avoir « fait mes preuves » et montré que je pouvais me débrouiller seul dans le froid, ils ont accepté que je les accompagne. Faire avec eux les réglages des fusils, discuter l’itinéraire en observant la glace, boire et manger avec eux sous la tente… Rien que pour ces moments, je savais que toutes les difficultés surmontées en valaient la peine ! » (Guillaume)
Le matériel technique revêt une grande importance, de la tente aux batteries, en passant par les vêtements, pour pouvoir s’offrir les meilleures chances de succès de l’expédition.
Dans le type d’environnement extrême qu’ils ont eu à affronter, le matériel technique revêt une grande importance, de la tente aux batteries, en passant par les vêtements, pour pouvoir s’offrir les meilleures chances de succès de l’expédition.
L’environnement arctique en hiver est par définition difficile voire extrême. Dans cet environnement côtier les températures ne descendent peut-être pas aussi bas que dans des régions plus continentales mais le vent et l’humidité n’en demeurent pas moins piquants. Un modeste -25°C peut rapidement faire chuter le ressenti sous les -30°C. Il fallait donc que le matériel emporté soit non seulement chaud mais aussi léger et résistant. C’est un bon compromis que nous avons trouvé avec le matériel d’alpinisme fourni par les différents partenaires. Des équipements conçus pour les hautes altitudes est bien adaptés pour ce type d’expédition. (Guilhem)
J’ai été exposé en permanence au froid. En devant lutter la plupart du temps tout au long de la journée, il était primordial d’avoir son cocon pour les temps de repos : tente et duvet Nemo, pantalon duvet Millet, et le réchaud Optimus ont été les éléments primordiaux du camp et donc de l’expé pour ma part. Ce n’est pas seulement pour quelques heures ou quelques jours, mais c’est sur la durée et les semaines qui s’enchaînent que la différence se fait. Il faut être capable de bien se reposer, tant physiquement que mentalement, pour pouvoir profiter pleinement des journées, et pour être capable de prendre les bonnes décisions dans les moments critiques. La batterie Goal Zero a permis de gérer au mieux l’alimentation des caméras et appareils photos. Même à -30°C, elle était stable et robuste, et conservait la charge sans problème. » (Guillaume)
Matériel performant, préparation physique et mentale, mais aussi envie de s’impliquer : tels sont les fondements de l’aventure, qui pour Guillaume et Guilhem, c’est sortir des sentiers battus pour réaliser un projet, quel qu’il soit :
“Pour moi l’aventure est aller au-delà de notre zone de confort et atteindre de nouvelles limites. L’aventure est une façon de me questionner, d’accepter le fait que je suis incapable de tout contrôler, de m’exposer au danger et, plus généralement, à l’inattendu. » (Guilhem)
Partir à l’aventure donne lieu à la possibilité de rester avec soi-même et d’apprendre à mieux se connaitre en profondeur : voir jusqu’à quel point on gérer nôtre peur, voir si l’on est capable de prendre des décisions dans des circonstances extrêmes. Mais il s’agit surtout d’un voyage à la découverte des territoires différents, où beaucoup des choses changent, de la langue à la culture, des habitudes à la fondamentale notion d’espace-temps. Cette expérience démontre que malgré toutes les différences et les difficultés à surmonter dans cet environnement inhabituel, il est possible de s’intégrer, de découvrir et surtout de partager.
Le conseil des aventuriers
Quels conseils donneriez-vous aux prochains aventuriers de MXP 2019 ?
1. Avoir un appui, un contact local est un gros avantage pour comprendre en détail comment les choses fonctionnent. Ne pas sous-estimer les différences culturelles, y compris dans l’organisation et la logistique.
2. Se connaître et se tester sur des objectifs progressifs, en termes d’engagement, de durée, de complexité. Au niveau personnel, et au niveau de l’équipe.
3. Prévoir de la marge. Que ce soit en termes de temps de préparation, de temps sur place durant l’expédition, ou encore au niveau financier pour éviter les mauvaises surprises.